Léonor Serraille présente son premier long métrage, Jeune Femme en ouverture du FIFF et en Compétition pour la 1ère œuvre de fiction. Son film était sélectionné au dernier Festival de Cannes catégorie Un Certain Regard où il a remporté la Caméra d’or. La cinéaste succède ainsi à Houda Benyamina avec Divines. Après avoir suivi le cursus Scénario de la Fémis elle a réalisé un moyen-métrage tourné en 16 mm, Body. Jeune femme était à l’origine son scénario de fin d’études avant de devenir un film. Le rôle-titre est interprétée par la talentueuse Laetitia Dosch.
Stéphanie Lannoy : Pourquoi ce titre, Jeune Femme ?
Léonor Serraille : Deux éléments très importants l’ont déterminé. Joachim (L’ex de Paula ndrl) avait fait une photo de Paula qui s’appelait Jeune femme au chapeau jaune. Ce n’est pas resté dans le scénario, mais j’ai décidé de garder le Jeune femme que j’ai trouvé intéressant dans la question du portrait en photographie. Il y a aussi une réplique au début du film, lorsque l’infirmier dit à Paula « Vous êtes une jeune femme libre » ça la fait partir en vrille, elle casse tout, c’est le point de déclenchement de la crise. Le film aurait pu aussi s’appeler Paula mais j’aimais bien me dire que c’était ouvert, libre. Je me posais la question tous les jours à l’écriture : Qu’est-ce qu’une jeune femme ? Elle cherche la jeune femme en elle… Cela créait des tremplins dans ma tête.
C’est aussi une expression un peu codée, presque normée… Et il y a tout un jeu avec l’âge dans le film. Elle ne dit pas tout à fait son âge, s’en amuse. Comme pour beaucoup de gens l’angoisse de vieillir existe. Elle travaille chez une jeune dame qui a presque le même âge. J’avais aussi cette question relative à l’ironie de l’expression. Pour moi c’était riche et cela permettait aussi de se projeter.
Qu’est-ce qui a mené à cette construction très elliptique du film ? J’avais envie que l’on vive la métamorphose d’une personne, de quelqu’un qui se construit au fil des rencontres, dans des épreuves. Tout l’enjeu était d’écrire des révélations qui soient très dynamiques. Les ellipses en ce sens étaient très importantes. C’était déjà comme ça dans le scénario et ça s’est confirmé au montage. On avait envie que le rythme du film soit de plus en plus vivant. Les décisions se prenaient pour que cela fasse corps avec le personnage, avec ce qu’elle était en train de vivre. Il fallait que l’on soit tout le temps tenus en haleine par elle. Les ellipses étaient donc la question clé de notre montage. La première version du film faisait 3h30. On a fait le deuil de plusieurs séquences qui marchaient très bien. A un moment donné, on s’est aperçus que c’était dans les ellipses que l’on trouvait le personnage. Dans les petites surprises qu’elle nous réservait. On se dit : « elle va tomber » et non ! elle va un entretien d’embauche. Petit à petit, cela s’affirmait comme cela.
Vous avez donc considérablement réduit le montage, il ne s’agissait pas d’un scénario pré-minuté ? Pour le scénario on était assez sûrs de nous, le film faisait 1h45. Et en fait non ! (rires). Le bout-à-bout des scènes durait 3h30. C’était une chronique, on aurait pu avoir une série sur Paula en quatre épisodes, mais on voulait vraiment trouver l’énergie du personnage, quelque chose de plus sec, plus cut. Au tout début du montage, on a tout de suite senti que ce n’était pas une bonne idée de partir dans la chronique. Il fallait se resserrer sur une tension, un équilibre à trouver entre les moments où on a peur qu’elle tombe et ceux où on est surpris qu’elle aille mieux. Le film s’est énormément trouvé au montage.
Vous dites que la suite logique de votre écriture est le plan séquence… J’ai énormément de mal à penser montage, découpage. Quand j’écris les scènes je ne pense pas spécifiquement à comment les filmer, spontanément ce sont des plans séquences dans ma tête. Sur Jeune femme, j’avais prévu certaines séquences très découpées, comme lorsqu’elle croise son ancienne amie dans la galerie marchande. Sur le moment, j’ai souhaité tout refaire différemment. Il y a donc quand même des choses qui n’était pas pensées en plan séquence. Sur le tournage il y avait par contre énormément de scènes avec Yuki, avec la maman, prévues sur ce mode là. Certains plans séquences se sont complètement libérés au montage. C’est ce que j’aimais, tailler dans les plans séquences. J’adore, cela revient à tout démolir un petit peu et chercher.
Paula est un personnage complexe, comme si elle se remplissait de différents profils psychologiques… C’est quelqu’un qui s’imprègne énormément des autres. Elle est aussi capable d’établir des rencontres. Elle est un peu cassée au début, donc elle va chercher les gens franchement, avec générosité. Ces micros-rencontres lui permettent, même si c’est invisible, d’être de plus en plus à l’aise avec elle-même. Il y a quelque chose qui n’est pas tout à fait resté, mais je crois que ça se sent, plus elle rencontre de femmes, plus elle change sa façon de parler et à la fin elle s’ouvre. Cela se retrouve aussi dans les mouvements, la douceur qu’il y a avec la petite fille. L’idée était : comment passe-t-on de quelqu’un qui est tout le temps chaotique à une personne qui vit tranquillement en pyjama ?
Revendiquez-vous une certaine liberté narrative ? Comme ces faces caméra… Le scénario est là depuis deux ans, je le connais par cœur. La liberté narrative je la trouve au tournage, j’ai envie de chercher, c’est un labo. Je n’arrive pas du tout avec un programme en me disant que l’on va tout faire dans l’ordre. J’ai des idées et on discute avec ma chef opérateur. Le premier face caméra était prévu sur un autre endroit du texte. On échange, on adapte, on propose. Certaines choses se sont énormément modifiées sur le moment en fonction de ce qui se passait. Il n’y a pas de tabous. On peut tout faire, comme le zoom dans la scène où elle parle de la grossesse avec Audrey Bonnet, la médecin. On avait très peu de temps pour tourner. Il fallait se rapprocher, on a testé le zoom et ça marchait. J’avais besoin que des choses, même déconcertantes parfois arrivent pour pouvoir trouver le personnage.
Et concernant le choix du format ? Ma chef opérateur (Emilie Noblet ndlr) savait que j’étais très frustrée de ne pas être en pellicule, elle m’a fait la proposition du 1:66 et de la couleur. J’étais convaincue. Elle a trouvé en amont les couleurs qui me permettaient de faire que le deuil avec la pellicule soit moins difficile pour moi.
Le film porte un regard corrosif sur Paris… Je me disais qu’avec Paula on avait un personnage qui n’avait pas peur de parler et qui allait permettre d’ouvrir des portes sur des personnages, des petits univers. Je pouvais y glisser des choses, par exemple ce qui me choquait dans Paris ou dans notre monde, comme la solitude des gens ou le monde du travail. Je voulais que ce soit un portrait rempli de choses, interroger les rapports au travail par exemple quand elle rencontre Ousmane (Souleymane Seye Ndiaye ndlr). Il est noir dans la ville. Je me disais que je pourrais glisser des éléments si cela restait discret. Ensuite je me suis inspirée d’expériences de travail, la vente, les enfants, des petits espaces, vivre dans une chambre de bonne. C’était intéressant d’être avec quelqu’un qui vit quelque chose de difficile mais qui ne tombe pas dans le pathos de Paris. Dans une grande ville, on peut facilement se laisser aller au spleen et je trouvais bien qu’elle surmonte ça. Même si l’époque est dure, on doit cumuler plein de boulots en même temps, on n’est pas reconnus, on nous méprise quand on est dans un bar à culotte… Et comment faire pour prouver que c’est de la poésie, de belles choses, des rapports vrais avec les gens ? Il s’agissait de trouver comment faire avec cette époque aussi. En tant que femme on me demande toujours d’être superwoman, de tout faire bien, mais est-ce que l’on prend le temps de trouver qui l’on veut être ? Je ne sais pas. Paula ne trouve pas forcément la réussite ou quoi que ce soit mais elle se trouve elle-même.
Paula dit quand même qu’il n’y a pas de place pour l’imagination à Paris, parce qu’il y a trop d’argent… J’ai glissé dans mon scénario ma colère. J’ai rencontré cette ville quand j’étais étudiante et j’ai trouvé ça très violent. Cette sensation que la ville ne collait pas avec la réalité, l’image que j’en avais. On est très seuls dans une grande ville, très anonyme et Paula ça la met en colère aussi. Surtout quand on passe du statut de muse au statut de personne.
Peut-on dire que le film est une analyse de la vie en milieu hostile ? On m’a même dit l’autre jour que c’était un survival dans Paris. Je n’y avais pas pensé comme ça, mais peut-être un peu. Je m’inquiète quand j’entends des gens me dire à la fin du film qu’eux-mêmes ou des amis pourraient se retrouver dans cette situation. Finalement cela deviendrait presque normal de se retrouver à la rue, de cumuler des boulots, de galérer et de se retrouver dans des situations impossibles. Ce n’est pas un très bon signe pour ma génération.
Vous avez obtenu la caméra d’or, succédant à Houda Benyamina avec Divines. Pensez-vous que le moment est aux films de femme ? Mon film parle d’une femme mais pas le prochain. Je ne me sens pas spécialiste des femmes mais ça m’intéresse. Le fait qu’il y ait de plus en plus de réalisatrices c’est bien et normal. Elles sont légitimes dans ce rôle, mais je ne me sens pas appartenir à une génération de réalisatrices, je débute.
Votre film porte un regard innovant sur la femme dans le sens où la réalité apparaît à l’écran pour une fois, c’est une fille normale… Ce qu’elle vit au début pourrait arriver à beaucoup de gens. Mais j’ai un peu peur de l’étiquette du « film de femme » (rires). Ce qui nourrit les réalisatrices – je pense à Party Girls, c’était aussi deux femmes qui avaient obtenu la Caméra d’Or (ndlr : en 2014 Marie Amachoukeli-Barsacq, Claire Burger et Samuel Theis) – c’est qu’elles ont peut-être de plus en plus l’envie de réaliser. Quand j’ai passé l’oral de l’avance sur recettes au CNC il n’y avait que des réalisateurs dans la file d’attente. On se demande pourquoi, j’ai autant envie, je suis autant légitime qu’eux, j’ai autant le droit. Peut-être que les femmes arrivent sur le plateau du film avec une grosse faim, possiblement dûe à des frustrations.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF Namur septembre 2017
Carte Blanche à Léonor Serraille (vidéo) Jeune Femme, La Critique