« Faire jouer l’imagination, l’émotion », Entretien avec la comédienne Diamand Abou Abboud (Insyriated) juré de la Compétition Officielle au FIFF

Plutôt discrète, la libanaise Diamand Abou Abboud s’empare de l’écran comme peu d’actrices. Elle enchaîne des rôles forts dans des films phares et engagés, comme ses deux derniers films en témoignent. L’Insulte de Ziad Doueiri, nommé à l’Oscar du Meilleur Film étranger en 2017 et Insyriated de Philippe Van Leeuw grand gagnant des Magritte 2018. Son interprétation d’Halima, personnage bouleversant de ce dernier lui vaudra le Prix de la Meilleure actrice au Festival International du Film du Caire en 2017. Elle n’abandonne pas pour autant le théâtre et joue parallèlement dans Le Quatrième Mur, adaptation du roman éponyme de Sorj Chalandon, mis en scène par Julien Bouffier. La comédienne est juré de la Compétition Officielle au FIFF à Namur cette année.

Stéphanie Lannoy : Que représente être juré de la compétition officielle au FIFF à Namur ?
Diamand Bou Abboud : C’est une sélection assez importante et variée. Il s’agit de cinéma francophone qui provient de différents pays. Il faut bien analyser les films, les recevoir et les critiquer, c’est très délicat pour moi, cela représente une grande responsabilité. C’est formidable d’avoir cette interaction avec tous les autres membres du jury. On est là pour discuter du cinéma, pour transmettre le résultat et c’est très beau.

Vous jouez dans des oeuvres qui comptent, comment choisissez-vous vos films ? Au départ c’est l’œuvre tout entière qui détermine mon choix et je crois que quelque part, c’est aussi elle qui me choisit. La réciprocité existe. Je cherche des sujets humains en premier lieu, afin de pouvoir m’exprimer. J’aime le cinéma engagé, interpréter les histoires de personnes et les donner à voir au monde me plaît énormément.

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Diamand Abou Abboud et l’équipe de l’Insulte avec Ziad Doueiri à la Mostra de Venise @FIFFNamur

Quelle était votre réaction en lisant les scénarii de vos deux derniers films, L’Insulte et Insyriated ? Je ne connaissais pas Ziad (Doueiri ndlr) personnellement, mais je connaissais ses films. En tant que cinéaste je l’adore, j’avais vu West Beyrouth… Quand ils m’ont appelé pour le casting du film, j’étais ravie, même si je n’avais pas encore lu le scénario. J’ai passé le casting des deux personnages, la femme de Tony et l’avocate, mais Ziad a trouvé que le rôle de l’avocate me convenait mieux. J’étais très contente qu’il me choisisse pour le rôle. Quand j’ai lu le scénario qu’il a écrit avec Joëlle (Touma ndlr) – ils forment un duo impeccable – je l’ai trouvé très intelligent, avec tellement de petits détails, des petites tournures… Il est très travaillé et très fort. Le film parle de ses racines, et les histoires des protagonistes sont très crédibles. J’avais travaillé avec Philippe (Van Leeuw ndlr) sur un film libanais qui s’appelait Stable Unstable de Mahmoud Hojeij sur lequel il était chef opérateur. En lisant le scénario j’étais bouleversée, c’était très intense. On a beaucoup discuté ensemble à propos du comportement du personnage dans des circonstances pareilles. 

Dans Insyriated le rôle d’Halima, que vous interprétez est particulièrement difficile… Ce rôle n’était pas facile au niveau émotionnel, psychologique et même physique mais ça s’est très bien passé.

Il y a une scène terrible au moment où les autres personnages sont tous cachés derrière une porte… Comment parvient-on à jouer une scène aussi dure ? On a bien préparé avant le tournage, j’ai beaucoup discuté avec Philippe. Cela correspondait à l’évolution de la structure dramatique du personnage du début à la fin, avec des petits détails de comportement. Une semaine avant le tournage on s’est tous réunis sur le plateau. On a discuté des personnages et de leurs relations. On a évité de trop répéter et après cela, on était prêts à essayer de tourner rapidement, parce que c’était un peu complexe à faire.

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Diamand Abou Abboud au FIFF ©ZoéPiret/FIFFNamur

Privilégiez-vous une méthode de travail pour le jeu ? J’enseigne aussi le jeu et la direction d’acteurs au Conservatoire au Liban et j’ai appris toutes les méthodes de travail pendant mes études. Le principal pour un acteur est de savoir s’écouter et communiquer avec soi-même. Qu’il puisse savoir de quoi est composé le moment dramatique dans lequel il est, qu’il l’habite, le comprenne et puisse le communiquer à la caméra, aux autres personnages dans l’espace-temps concerné. C’est un tout. Il faut faire jouer l’imagination, l’émotion. Cette intelligence est parfois acquise, innée ou instinctive. Elle permet de comprendre le cadre dramatique, le monde du film, où le personnage se situe et dans lequel il évolue.

Vous enseignez. Transmettre c’est important ? Bien sûr cela nourrit. C’est un signe de vie, d’échange, c’est beau.

Comment partagez-vous votre carrière entre théâtre et cinéma ? J’adore les deux ! Cela dépend des projets qui se présentent. J’essaie de voir ce qui me convient. Avant tout il faut une harmonie entre l’œuvre et l’acteur. Même si le film et le comédien excellent, sans harmonie cela ne fonctionnera pas.

On vous verra bientôt dans une série… J’ai terminé le tournage d’une série qui se partageait entre l’Allemagne, Athènes et Paris. Je tournais à Paris. Elle s’appelle Eden, est produite par Arte et réalisée par Dominik Moll.

Vous avez co-écrit le film Waynon avec Georges Khabbaz, avez-vous toujours l’envie d’écrire ? J’aime bien écrire. Je le fais parce que je suis actrice. J’essaie de créer le monde dans lequel le personnage évolue pour le faire exister. Peut-être qu’un jour je réaliserai, je ne sais pas…

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF 2018
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Photo de couverture © FabriceMertens/FIFFNamur