Après Tomboy et Bande de filles, on attendait de pied ferme Céline Sciamma sur la Croisette. Celle qui avait co-écrit le scénario du bouleversant film d’animation Ma vie de Courgette de Claude Barras ne nous a pas déçus. Portrait de la jeune fille en feu est une œuvre sur la création et la naissance d’un amour, belle, intense et politique. Elle a remporté le Prix du scénario au Festival de Cannes. (Entretien)
Au XVIIIème siècle, Marianne se rend sur une île bretonne pour peindre le portrait de mariage d’Héloïse. Promise à un riche Milanais, la jeune femme repousse cette union en refusant de poser. Marianne devra la peindre en secret. Se prétextant dame de compagnie, elle l’observera attentivement.
Noémie Merlant et Adèle Haenel subliment ce drame onirique. Elles illuminent l’écran avec une présence et des regards d’une intensité rare. Le thème du portrait est bien sûr très romanesque, en témoigne ce malheureux premier peintre qui a abandonné son oeuvre souillée avant l’arrivée de Marianne. Sans entrer dans des considérations trop intimes il existe dans le film une mise en abîme du thème du portrait et de la figure de la muse. La peintre regarde son modèle et la dépeint, comme Céline Sciamma, cinéaste, filme elle-même sa compagne dans la vie, Adèle Haenel. C’est par sa caméra que surgiront les détails du corps que l’on retrouvera sur le portrait. La mise en scène parfaite est complétée par des costumes, des décors, des tonalités qui offrent une image douce et esthétisante. Et outre son onirisme, le film démontre de réelles qualités techniques par tous ses différents aspects (maquillage, lumière…).
Céline Sciamma signe également une œuvre politique en offrant une vraie place à la femme dans un film d’époque. Un événement en soi, car rarement des rôles de personnages féminins ont été aussi profonds dans ce genre. On a affaire ici à de véritables héroïnes. Des femmes qui fument la pipe et prennent des initiatives. Comme la peintre qui va sans hésiter sauter de la barque et nager pour aller récupérer ses toiles tombées à l’eau. Ou, lorsque la Comtesse, la mère d’Héloïse, Valéria Golino, s’absentera quelques jours. Les jeunes femmes – la servante Sophie, Luana Bajrami, Héloïse et la peintre – alors plus libres et complices vont se rapprocher. Dans une scène mémorable où l’on dénote un soupçon d’ironie, elles échangent même leurs rôles. La servante brode pendant que sa maitresse Héloïse prépare le diner et que Marianne sert le vin. Les beaux moments de promenade de ces femmes en lourdes robes longues sur la plage venteuse où les vagues se déchainent, pourraient rappeler La leçon de piano de Jane Campion. Comme un clin d’œil à l’héroïne de ce drame qui subit sa condition de femme muette mariée.